Quand j’ai découvert tes photos, j’ai tout de suite eu envie de te proposer un shoot. Tu étais trop joliment originale pour laisser passer une si belle occasion, mais j’étais trop intimidé pour te le proposer. Sur le point de renoncer, j’ai vu, sur un de tes clichés, une porte entrouverte, immédiatement je m’y suis glissé pour pénétrer ton univers.
Invisible dans ce monde parallèle, appareil photo dressé, j’ai pu te suivre partout. Vie publique, vie intime, là où je n’aurais pas été admis si je t’avais demandé la permission de te photographier.
Non admis, mais tout de même présent, tu m’as ouvert sans le savoir ton intimité féminine. Je culpabilisais un peu bien sûr, mais pour rien au monde ne serais revenu en arrière.
Pendant plusieurs semaines, je t’ai pris dans toutes les tenues et intenues, nue devant ta psyché, dans toutes tes pérégrinations. J’étais ton ombre, quelle merveilleuse sensation, j’avais le sentiment de vivre dix fois plus quand je n’étais pas conscient que pour toi je n’existais pas. Je fuyais cette idée qui me menaçait de solitude. Je me suis permis des actes dont j’aurais voulu m’ignorer capable.
Je prenais un plaisir particulier à te prendre te photographiant toi-même, autoportraits que tu posterais bientôt accompagné d’un titre gentiment accrocheur, éventuellement provocateur, résonnant tous puissamment dans ma conscience. Je me sentais voyeur à l’extrême et en tirais un plaisir égal à ma culpabilité. Profitant de ton sommeil je suis allé jusqu’à effleurer ta peau, impunément. Quand j’affermis mes caresses, un mouvement de toi m’avertit que je ne devais pas aller plus loin. Mais je fis pire encore.
Une très chaude nuit d’été je remarquais une carafe d’eau glacée à ton chevet. Malgré la canicule tu dormais paisiblement, vêtue d’un très court et mince tee-shirt ainsi que d’un string. Ta peau luisante de transpiration, cette peau que j’avais tant admirée en compulsant fiévreusement tes albums virtuels, était maintenant d’une torride réalité. Sans hésiter je répandais le contenu du flacon sur ta poitrine à peine voilée, pour voir tes seins immédiatement se gonfler et tes tétons se dresser à travers le tissu. Tu te réveillas en criant, ne comprenant pas ce qui t’arrivait. Pendant que tu t’ébrouais et arrachais ton top, je mitraillais la scène.
Mais rien ne dure. Un soir, levant brusquement ton appareil photo, tu le dirigeas vers moi, j’eus un mouvement de recul, mais je réalisais vite, soulagé et triste à la fois, que tu ne visais que le vide.
Quelques jours plus tard, je te vis recommencer à photographier le vide, avec un vieux reflex, un Zenith, que tu avais acheté dans un vide-grenier le week-end précédent. Intrigué je te suivis dans le labo improvisé que tu avais installé dans ta salle de bain. Cette pièce où j’avais vécu de si délicieux moments et où, te pensant seule, tu te montrais de plus en plus suggestive explicite, prenant des photos que tu ne publierais peut-être pas, ou peut-être… Penché par-dessus ton épaule, je regardais avec toi le bac de révélateur où tu plongeais une à une tes épreuves qui ne révélaient rien. Mais sur la toute dernière feuille de papier photo sensible, je vis petit à petit se former ma silhouette. Nous étions tous deux comme fascinés par cette image imprécise, fantomatique. Je sus à cet instant que tu ressentais ma présence, mon souffle dans ton coup. Ta respiration s’accélérait de plus en plus, je te vis te caresser devant cette image.
J’aurais dû rester, mais la panique s’était emparée de moi, j’étais incapable d’assumer cette situation, qui pourtant étais prometteuse. Sans réfléchir, j’ouvris la porte pour m’enfuir, toi sur mes talons m’ordonnant de m’arrêter. Maintenant je produisais un léger chuintement en me déplaçant, suffisant pour que tu me situes dans l’espace. Je traversais sans but l’appartement. Arrivé dans ta chambre j’avisais la psyché, me précipitais dessus et brisais le miroir à coups de poing. Chaque éclat de verre tombant au sol renfermait un fragment de mon image qui n’avait plus rien de fantomatique. Enfin je traversais le cadre et me retrouvais chez moi, seul. N’ayant pas fait le chemin inverse tu ne pus me suivre, mais tu me regardais toute droite, les mains sur les hanches depuis le cadre du miroir, interloquée.
Je me ruais à l’extérieur, courus jusqu’à une gare. Je sautais sans billet dans un train, qui partait je ne sais où, puis dans un avion dont je n’avais pas compris la destination, pris un autre train plus vétuste que le premier qui ne m’amena nulle part, là où je désirais être.
Pour mieux disparaître, j’ai fait changer mon apparence par un chirurgien médiocre. J’ai acheté de faux papiers. Pour renaitre je me suis moi-même pris en photo. Pour renaître plus pleinement j’ai ouvert des comptes sur divers réseaux sociaux, avec un de mes selfis, plutôt réussis dois-je dire, en avatar. Un soir en consultant Social porn, je me rendis compte que sur le cliché de mon avatar, pris dans un décor anonyme, tout au fond il y avait une porte entrouverte ! Je me dépêchais de changer ce cliché, mais je savais qu’il était déjà trop tard, depuis quelques jours j’avais le sentiment d’être épié… d’entendre le son caractéristique d’un polaroïd…
Pascal
Voici un récit qui peut refléter la vie de chacun coincé dans une solitude indéterminée.
Impuissant et aussi désireux, cette situation peut être transcrits de différentes manières.
C’est une belle histoire qui prend aux tripes.
Bonne continuation